Table des matières
Le cadastre
Instauré par la loi du 15 septembre 1807, le cadastre général parcellaire de la France est une entreprise monumentale. Ce sont cent millions de parcelles à mesurer, à classer d’après le degré de fertilité du sol, à évaluer le produit imposable de chacune d’elle et à reporter sur un plan Napoléon, au moment de proposer la réalisation du cadastre, l’aurait défini en ces termes :
« Les demi-mesures font toujours perdre du temps et de l’argent. Le seul moyen de sortir d’embarras est de faire procéder sur le champ au dénombrement général des terres, dans toutes les communes de l’Empire, avec arpentage et évaluation de chaque parcelle de propriété. Un bon cadastre parcellaire sera le complément de mon code, en ce qui concerne la possession du sol. Il faut que les plans soient assez exacts et assez développés pour servir à fixer les limites de propriété et empêcher les procès ».
Probablement commencé vers 1820, le plan parcellaire de la commune de Prats de Molló est achevé le 10 octobre 1826.
En effet, c’est le magnifique cartouche du tableau d’assemblage de l’atlas communal qui nous livre les informations suivantes :
« Tableau d’assemblage du plan cadastral parcellaire de la commune de Prats de Molló, canton de Prats de Molló, arrondissement de Ceret, département des Pyrénées orientales, terminé sur le terrain le 10 octobre 1826 sous l’administration de Mr le marquis d’Auberjon, préfet, de Mr Trinxerie, maire, et sous la direction de Mr Delorm, directeur des contributions, Mr Delpech, géomètre en chef, par Mrs Charbalié et Caubet, géomètre du cadastre ».
Mais en réalité, il y eut six autres géomètres du cadastre qui travaillèrent sur le secteur de Prats de Molló, chacun d’entre eux signant les planches qu’il réalisa. Il s’agit de Mrs Borrel, Constand, Franciel, Presseq, Talairach et Verniet.
Ces spécialistes du cadastre n’étant pas, pour la plupart d’entre eux, originaires du Département, la graphie catalane de nos noms de lieux fut particulièrement malmenée. Seuls les noms de mas dont les propriétaires donnèrent la véritable orthographe furent respectés.
Ce fut une entreprise des plus ardues, car le territoire de la commune de Prats de Molló est le plus vaste du département des Pyrénées Orientales et parmi les vingt plus étendues de France à cette époque.
5 200 parcelles furent mesurées, évaluées et réparties en sept sections (secteurs géographiques) de A à G, pour un total de 30 feuilles d’atlas (1,05 m X 0.70 m) avec des échelles de 1/5000ème pour les zones de montagnes et celles peu habitées, de 1/ 2500ème pour les secteurs avec beaucoup de mas et hameaux, et de 1/1250ème pour le village.
Afin de répertorier l’ensemble de ces données cadastrales, deux types de registres furent élaborés.
– Un registre d’une contenance d’une centaine de pages dit « Etat des sections », qui est un répertoire numérique des parcelles de chaque section pour 1828 donnant pour chacune d’entre elles le nom et l’adresse du propriétaire, le lieu-dit de la parcelle, la nature de la propriété (terre, pâture, pré, bois…), sa contenance (surface en arpent, perche et mètre), sa classe (sa richesse) et son revenu.
– Un registre de 1200 pages pour deux volumes dit « Matrice Cadastrale », qui est un répertoire alphabétique des propriétaires pour 1828, donnant pour chacun d’entre eux l’ensemble des biens que ces derniers possèdent dans la commune. La matrice cadastrale reprend pour chaque parcelle les mêmes informations que l’état des sections (lieu-dit, nature, contenance, classe et revenu) mais son gros avantage est de pouvoir permettre son évolution dans le temps.
En effet, pour chaque parcelle, une première colonne prévoit d’inscrire l’année de la mutation (achat/vente) et une deuxième colonne indique la page de la matrice d’où provient la parcelle, et à quelle page elle a été vendue.
Ainsi, arrive-t-on, non sans difficulté, à suivre l’historique de n’importe quelle parcelle du cadastre de la commune.
En 1913, il fut décidé d’élaborer des nouvelles matrices, car il n’y avait plus de place sur les anciennes pour continuer à écrire les changements de propriétaires.
En revanche le plan parcellaire cadastral de 1826, faute de moyens financiers, ne fut pas refait, compliquant de plus en plus la corrélation entre matrice et plan.
En effet les ventes et les achats de parcelles portés sur les matrices ne faisaient pas l’objet d’une mise à jour du plan. Afin de remédier à ce problème majeur, une révision du Cadastre fut décidée en1961, avec la création de nouvelles matrices mais également d’un nouveau plan parcellaire cadastral mis à jour.
Les trois éléments essentiels de 1826-1828 (Plans, Etat des Sections, Matrice cadastrale) qui constituent le Cadastre parcellaire Napoléonien de Prats de Molló furent exécutés en deux exemplaires. L’administration du cadastre pour des raisons évidentes de mise à jour (principalement de la matrice) se réserva les documents originaux. La mairie fut dotée de copies identiques aux originaux afin de permettre la libre consultation par les habitants.
La collection de la mairie consultée des milliers de fois depuis 1828, était dans un très mauvais état de conservation.
En 2009, la municipalité de Monsieur Bernard Rémédi décida d’entreprendre la restauration de l’ensemble des feuilles du plan parcellaire de la commune.
C’est Monsieur Jean-Michel Durand, relieur et restaurateur de documents anciens à Bayonne qui réalisa ce travail, pour un résultat remarquable.
Espérons que les deux volumes de la matrice cadastrale puissent un jour être également restaurés, car leur état actuel ne permet pas de les consulter sans risquer une détérioration supplémentaire.
Quant à la collection de l’administration du cadastre, elle fut déposée aux archives départementales des Pyrénées-Orientales, comme la collection de l’ensemble des villages du département, où elles peuvent être consultées librement.
Anecdotes
Amputation du territoire
Des 30 planches de l’atlas parcellaire de 1826, il n’en reste plus aujourd’hui que 26.
En 1862, le village du Tec, qui demandait depuis longtemps sa séparation de Prats de Molló, obtint enfin satisfaction sous Napoléon III. Le premier janvier 1863 la commune du Tec voit le jour, composée des territoires formés par la vallée de la Comelada, ainsi que la vallée du Tec de les Sitges à Manyaques, soit 2518 Hectares pris sur l’ancien territoire de Prats de Molló.
Le découpage ne fut pas un travail de tout repos pour les experts de l’administration chargés de délimiter cette nouvelle commune. C’est principalement dans la haute Comelada que les difficultés furent les plus nombreuses, à cause des propriétaires de Prats de Molló, et plus précisément du Veïnat d’en Coma. En effet, ces derniers possédaient en ces lieux, autour de Sant Guillem, des mas, des forêts, des pâtures, mais également bénéficiaient des Estives des Pasquiers de Comelada. Au lieu de faire le découpage au niveau de la ligne de séparation des eaux Comelada/Tec, c’est le chemin du Coll d’en Cé (en réalité Coll Llancer) au mas dels Aplegadors qui servit de délimitation à cet endroit. En amont du chemin : commune de Prats de Molló; a l’aval du chemin : commune du Tec. Les propriétaires du Veïnat ayant réussi à garder sur Prats le Bach de Comias, Bac de Sarraïns, Bac de les Conques et cabane d’en Ribe. Les mas dels Aplegadors et Les Parotes quant à eux seront désormais sur le territoire du Tec. On donna à la commune du Tec les planches A1, A2, A3, B1 et B2 de l’atlas parcellaire de Prats de Molló, sur lesquelles on coloria en jaune les parties qui étaient restées territoire de Prats, et l’on réalisa un tableau d’assemblage. On créa pour Prats une nouvelle planche représentant les morceaux de territoires « sauvés » (ceux coloriés en jaune). Il restait donc pour Prats un total de 26 planches cadastrales, et pour le Tec un total de 6 planches dont la collection communale disparue avec la mairie dans le catastrophique Aiguat d’en 40 (12 morts pour le seul village du Tec).
Les acquéreurs de la montagne : Les Pasquiers de Prats de Molló
La matrice cadastrale de Prats commence sa liste des propriétaires par une curiosité. En effet, sont inscrits sur la première page du listing, « les acquéreurs de la Montagne » qui se répartissent près de 2368 hectares du territoire.
Depuis des temps ancestraux, les habitants de la Vall de Prats bénéficient d’un droit de pacage sur la haute montagne. L’article 72 des Usatges de Barcelona (1068) plus connu sous le nom de «Loi Stratae » précise que « Les routes et chemins publics, les eaux courantes, les sources, les prés, les pâturages, les forêts, les garrigues et les roches de cette patrie sont aux puissants, non en alleu ou en seigneurie, mais de sorte que tout leur peuple puisse en jouir, sans obstacle ni charge d’aucune sorte».
Cette zone de haute montagne appelée Pasquiers de Dalt et Pasquiers de Comelada, existait déjà en 1525, puisqu’elle fit l’objet d’un procès-verbal de démarcation par l’intermédiaire de croix gravées.
Par la suite les pasquiers de Dalt devinrent la propriété des familles d’Ortafà et De Lassus et les Pasquiers de Comelada furent intégrés à l’Ordre de Malte.
La Révolution Française confisqua ses biens à l’ordre de Malte en 1792, ainsi qu’à Monsieur d’Ortafà qui fut considéré comme émigré. Les Pasquiers de Dalt et de Comelada devinrent des biens nationaux.
Le 15 mars 1811 à Perpinyà et conformément aux lois des 15 floréal an 10 et 5 ventôse an 12, le département des Pyrénées-Orientales par l’intermédiaire de la Caisse d’Amortissement vendit aux enchères les Biens Nationaux appelés Pasquiers de Dalt et Pasquiers de Comelada. L’administration ne manqua pas de préciser aux éventuels acquéreurs que les habitants de Prats de Molló avaient un droit d’usage sur ces deux terrains.
C’est Emmanuel ASPAR du Mas de Can Pitot qui se porta acquéreur des deux lots pour la coquette somme de 15 600 francs (7600 francs pour les Pasquiers de Dalt et 8000 francs pour ceux de Comelada).
Le 8 mai 1811, par devant les deux notaires de Prats de Molló, Michel GUITART et Gérôme Emmanuel HORTET, les Pasquiers de Dalt et de Comelada furent revendus à 34 propriétaires de Prats de Molló et divisés en 36 parts égales (Emmanuel ASPAR se réservant 2 parts sur 36). Chacun des 34 propriétaires acheta sa part 433 francs et 35 centimes et bénéficia d’un échelonnement de paiement sur 5 années, soit 86 francs et soixante-sept centimes par an, bénéficiant ainsi des mêmes conditions obtenues par E. ASPAR.
On comprend aisément que Emmanuel ASPAR fut mandaté par les autres grands propriétaires de Prats de Molló afin d’acquérir la haute montagne pratéenne et ainsi sceller définitivement le sort de cette dernière.
En effet, en agissant de la sorte, les propriétaires de la Vall de Prats, tout en maintenant le droit de pacage des habitants sur ces terres ancestrales, se protégèrent définitivement des convoitises extérieures.
Cette manière d’agir, identique à celle de 1792 où l’ermitage de Nostra Senyora del Coral fut racheté par de nombreux copropriétaires, démontre bien la volonté et la capacité des Pratéens à prendre leur destin en main.
LISTE DES ACQUEREURS DE 1811 (avec la graphie de l’époque)
ASPAR Emmanuel Mas Can Pitot
ALIS André Mas La Pullangarde
BARTRE Joseph Mas La Boixede
BOHER Jacinte Mas Marty (Cal Picotos)
BOIXEDE Jean Baptiste Mas Costareba
CARRERE François Mas del Bach Petit (La sorranguera)
COMAMALE Raphael Mas Can Britxot
DANGLADE Joseph Mas de La Figuera
DELTRULL Michel Mas Cal Peyre (Banat)
DURAN DAMICH Joseph Mas Le Llendrich
GUISSET Cosme Mas Can Fons (Veïnat), Mas Can Guisset, Mas El Riu
HORTET Jacques Mas Les Caroses, Mas de Saint Sauveur
HORTET Michel Mas La Coste de Dalt
LACOUR Augustin Mas Can Moulins
LLOBERE Assiscle Pas de Mas
MALER joseph Mas Can Coume (Veïnat)
MATHEU Michel Mas Can Cadaques
MOLI Jerome Mas La Coste de Baix
MOLI Michel Mas Cal Guillat (Veïnat)
NOELLE Joseph Mas Les Teixonedes, Mas Le Martinet, Mas Le Sayol
PAGES XATART Jean Mas del Xartart
PARES Michel Mas La Cabanya, Mas Los casals
PLANES Julien Pas de Mas
PLANES Joseph Mas Le Boix
POMPIDOR XATART Louis Pas de Mas
PUIGT Jérôme Mas Las Conques, Mas du Cortal
RIBES Jean La Forge (Pas de Mas)
ROUGET Joseph Mas Can Joan Jaume
SALA François Xavier Mas Cal Pubill
SORS LLAU Michel Mas La Llau
SUQUET Jean Mas Las Garcias, Soula d’en garcias
TRESCASES Jean Mas de Cos
VIAL Joseph Mas Puig Redon
VILLANOVA François Mas Can Majoral, Mas Gironella, Mas Le Bourgat
XATART Barthelemy Mas Tallet
Auteur: Sergi ROCA.
( article extrait du N° 1 de la Revue Costabona, éditée en 2012 par l’association de sauvegarde et de valorisation du patrimoine de Prats de Mollo, Velles Pedres i Arrels »)